Peine inhumaine

Cette histoire courte a été écrite d’un jet sur la base d’un défi sur Critique Circle qu’on peut résumer par « Le Diable, une appli et un écolier ado qui a un problème ». La contrainte additionnelle était d’écrire sans rectifier, que j’ai respectée pour l’essentiel là-bas mais ici j’ai bien sûr éliminé les typos et erreurs les plus embarrassantes.

« Bon Dieu mais je suis supposé taper quoi sur cet écran ? Ça fait deux fois que j’entre mon nom, et aucune des deux n’a été facile, et tu me le demandes ENCORE ? Je jure que ce sacré mobile va finir dans l—OUI, QUOI ? »

À la porte du bureau, le garçon aux vêtements déchiquetés et ensanglantés bafouilla.

« Euh… J’ai été envoyé ici depuis… en haut… Je crois… »

Satan l’examina de la tête aux pieds. « Je vois ça. Pourquoi ? »

« Euh… Ils ont dit que j’avais eu des pensées impures. »

Satan roula des yeux — la façon démoniaque, pas l’humaine.

« Et ils t’ont descendu pour ça ? Bon, peu importe. Pourquoi la réception t’a envoyé ici ? »

« C’est pas eux. Y’avait personne là-bas, juste une affiche qui disait « Pas de réceptions jusqu’à ce que le réseau local refonctionne ». J’ai attendu dix minutes là-bas. »

« … Dix minutes. »

Les gamins, de nos jours.

« Peu importe aussi. J’ai pas de temps à perdre pour le menu fretin. »

Satan composa le numéro rapide de son Directeur des Opérations et colla le mobile à son oreille, puis l’écarta vivement. Même le gamin à trois bons mètres avait grimacé de douleur au bruit démoniaque qu’avait émis l’appareil.

« Que je s… Argh, y’a rien qui marche ! Bon, je vais m’occuper de toi, ça me calmera les nerfs. Donc. Ils t’ont descendu pour des pensées impures, mais avant ça, qu’est-ce qui t’a valu d’aller là-haut ? »

« Hein ? »

Satan soupira. Gamin, troisième millénaire, revoir ses attentes.

« Pourquoi es-tu mort ? »

« Euh, parce que je suis tombé sur le béton du quatrième étage. »

Satan cligna des yeux fixement.

« … Et pourquoi tu es tombé sur le béton du quatrième étage ? »

« Je… pense… que c’était un accident. Biff ne voulait pas vraiment me lâcher, juste me faire peur, mais je lui ai glissé des mains. »

« Et ça a un rapport quelconque avec les pensées impures dont tu parlais tout-à-l’heure ? »

« Je… ne crois pas. Enfin, Ella et Biff sont pas de la même famille et je pense pas qu’ils aient jamais… vous savez… »

« Vérifions ça pour en avoir le cœur net. »

Satan claqua des doigts vers son ordinateur portable qui s’ouvrit avec déférence sur un écran bleu agrémenté de quelques lignes inintelligibles et d’un souriard triste.

« AAAAARGH ! NON ! ENCORE ? »

Il claqua des doigts plus férocement. Le portable s’enflamma.

« On va le faire à l’ancienne, alors. »

Les yeux de Satan virèrent au gris intégral et une voix résonna dans la pièce.

« OUI ? »

« Désolé de vous déranger, mais on a un petit prob— »

« CE N’EST PAS MOI QUI AI INVENTÉ LES ORDINATEURS, MON ENFANT. TU L’AS VOULU, MAINTENANT TU T’EN DÉBROUILLES. »

« Non, pas ce problème-. C’est le gamin. Il est allé en haut parce qu’on l’a tué, et ils me l’ont envoyé pour de simples pensées impures. Remarquez, je ne me plains pas vraiment mais vous allez vous sentir seul très vite là-haut si— »

« TU METS MON JUGEMENT EN DOUTE ? »

« … Non. »

« BIEN, ALORS. ET NE ME DÉRANGE PLUS POUR… DU MENU FRETIN. »

Satan « raccrocha ». Connard. Et oui, c’est un avis professionnel. Il se retourna vers le gamin.

« Pourquoi ce… Biff… te harcelait ? »

« Excusez-moi, mais… en quoi c’est important ? »

« Pour déterminer ton châtiment éternel. »

« Oh… Ben, Biff c’est un peu le chef là bas, je veux dire… »

« Le soit disant loup alpha, si les loups alpha existaient, ce qui n’arrivera pas tant que les loups resteront plus futés que les humains. Je connais le genre, je les collectionne à mes heures perdues. Je pourrais te montrer les vidéos si ces bon Dieu de serveurs n’étaient pas EN PANNE DEPUIS SIX JOURS ENTIERS DÉJÀ ! Continue. »

« Ben, euh, je suis pas vraiment costaud ni… »

« OK, donc tu es la mauviette sur laquelle il s’acharne, sauf que cette fois il est allé un peu trop loin. Bon. Je suppose que le quatrième étage c’est la bibliothèque ? »

« Euh, non. C’est l’étage du service informatique. »

Il y eut un long silence.

« Tu es un geek ? »

« Euh… j’imagine. Vu que je suis le président du club info. »

Satan sourit. Curieusement, pensa le garçon, ce sourire n’était pas inquiétant.

« Ton châtiment éternel sera de maintenir ces MAUDITS SYSTÈMES » — Satan désigna ce qui l’entourait — « en état de fonctionner. »

Satan ouvrit un tiroir, en sortit une plume et une feuille de parchemin sur laquelle il griffonna quelques lignes avant de la tendre au garçon.

« La présente te donne autorité sur tout le monde dans le coin — moi excepté, bien entendu — dès lors que les téléphones, ordinateurs, réseaux, imprimantes, et cetera, fonctionnent correctement. Tu n’auras de repos que quand tout ira bien, et crois-moi, ça n’arrivera pas souvent. Maintenant AU TRAVAIL ! »

Lentement, sur le visage du garçon, un sourire apparut ; puis il se précipita hors du bureau. À peine quelques secondes après, le mobile de Satan émit un bip bref et afficha une barre de progression sous les mots « MISE À JOUR ».

Satan se rassit en silence. Descendu pour des pensées impures, ouais, c’est ça. Sans même passer par les yeux gris protocolaire, il se contenta de dire « Merci. »

« DE RIEN.« 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.